Documentation de l’expérimentation Codesign-it!
Rencontre avec des facilitateurs-makers : une préférence à passer par le faire !
Cécile Roche-Boutin et Frédéric d’Incau sont membres de Codesign-it! Au sein du collectif on les appelle facilitateurs-makers ou prétotypeurs. Convaincus de la vertu à passer par le faire, ils proposent des approches manuelles, visuelles, qui rassemblent autour d’un langage qui fait appel à la forme plutôt qu’aux mots.
Je suis allée à leur rencontre pour qu’ils nous racontent.
Chez Codesign-it le maker a deux casquettes : soit il fait lui-même puisqu’il dispose des capacités manuelles nécessaires ; soit il met les participants dans une posture de faire, il est alors également facilitateur.
Le making dans le collectif cela peut être du coaching en prétotypage avec les outils YUGAMI : des «mini-kits» de prétotypage polyvalents permettant de réaliser un prototype de premier niveau des parcours utilisateurs, des applications, des lieux, des interactions, des concepts. Pour une formalisation accessible rapidement, avec une économie de moyens, dans son tout premier stade. Le prétotypage force ici à répondre à la question : à quoi ressemble cette idée, ce projet ?
“ On émet une hypothèse et pour pouvoir la tester on a besoin de fabriquer ensemble l’objet qui représentera cette hypothèse.”
La gamme YUGAMI se décline en 6 langages que vous pouvez retrouver en détail ici !
“ Par exemple quand on fait une maquette d’espace, de quoi avons-nous besoin ? D’une échelle ! Donc le bonhomme doit être à l’échelle de la chaise. On facilite ici l’usage de la première représentation physique d’un espace. ”
“ Avant de produire une vidéo, on va inviter les participants à produire un storyboard afin de commencer à penser en plans, enchaînements de séquences, décors, voix off… ”
Le making au sein du collectif c’est aussi de la fabrication d’objets : créés comme supports de présentation, de réflexions ou d’interactions.
“ Si le sujet est la mobilité dans le 20ème arrondissement de Paris, on va fabriquer une maquette qui sera une représentation du quartier à l’échelle.”
Ici c’est le collectif lui même qui est représenté sous la forme d’une maquette :
Enfin, une partie de l’activité de maker-facilitateurs au sein du collectif comprend de l’accompagnement à la production et au test de prototypes. À la suite d’un atelier de prétotypage, les makers font appel à des designers (designers graphiques, designers d’espaces, UX designers, etc.) pour réaliser un livrable – une version plus élaborée de la maquette – qui sera ensuite testée en atelier par les makers et les utilisateurs finaux.
“ Une application digitale peut être prétotypée (prototype amont) en atelier collaboratif. En binôme avec des designers, nous allons réaliser un prototype cliquable, qui pourra être testé par l’équipe projet en interaction directe avec les utilisateurs. ”
Le prétotypage permet de changer de point de vue, mais aussi de développer un langage commun. Il y a quelque chose d’universel dans la parole, mais les mots manquent parfois d’univocité. Comment être sûr que nous posons les mêmes définitions derrière les mots que nous utilisons à ce moment précis de notre discussion ?
“ Le langage formel permet de lever des ambiguïtés, il tangibilise, rationalise, pose une base plus commune de discussion. L’effort de prétotypage permet de fixer temporairement les choses. Il oblige à la précision et offre une représentation commune, figée, mais manipulable et itérable. ”
Passer par le faire permet également de redistribuer les cartes de la collaboration. Ce n’est pas forcément celui qui dit qui compte mais plutôt celui qui fait !
Enfin, prétotyper c’est aussi une façon de tester : en faisant exister concrètement les projets, le prétotypage permet de les éprouver, de voir et d’accepter très simplement qu’on peut se tromper.
“ On peut toujours surfer sur l’idée de la bonne idée… Le prétotypage est une mise à l’épreuve du réel. Avec, en plus, la possibilité de rassembler autour d’un même objet tous ceux qui vont être à un moment ou un autre confrontés au projet. […] C’est didactique, engageant. C’est une capacité à simplifier et rendre visuelles des choses complexes. ”
Pour Cécile et Frédéric, nous devons donner davantage de crédit au passage par la forme comme point d’entrée direct de réflexions stratégiques.
“ Peut-être qu’aujourd’hui on ne se l’autorise pas assez. Derrière le mot design il y a des enjeux de fond et de forme ; mais la forme arrive souvent dans un second temps, après la stratégie. Avec le prétotypage, on invite à penser à la forme dès le début du projet, et pas seulement à un moment dans le projet. On se donne alors la possibilité de voir autrement, et donc de voir d’autres choses. ”
Dans les organisations le curseur est souvent assez éloigné du « faire » . On a parfois du mal à s’émanciper des codes préconçus, de nos façons de travailler ; à s’éloigner de nos feuilles de papiers, de nos ordinateurs et de nos mots. Il y a pourtant tant d’autres façons de penser et de communiquer. Avec le prétotypage on mobilise ses mains et sa tête en même temps ; et le résultat est souvent très immédiat.
Voici un exemple de projet réalisé par les prétotypeurs de Codesign-it dans le LAB d’Air Liquide France Industrie (ALFI) :
En janvier 2017 le constat de départ chez ALFI est que le besoin des collaborateurs en formation Soft Skills n’est pas satisfait. L’intuition est alors double :
- La direction de la Formation d’ALFI doit proposer des contenus régulièrement, et au delà des besoins exprimés des collaborateurs.
- Le prétotypage doit être intégré dès le début du projet. Cela pas seulement pour une expérience “sympa” de bricolage mais surtout pour obtenir un résultat tangible et aligné avec les besoins des collaborateurs.
Le projet est alors monté en partenariat avec une école de code (la Wild Code School) et un UX designer & designer graphique (Charles Beauté).
En atelier, une plateforme digitale est prétotypée. Dans un second temps, les étudiants développeurs créent la plateforme en hackathon (48H non stop). Tout d’un coup la proposition de valeur existe !
A la suite de ce hackathon, une équipe de développeurs et designers ont créé une première version du site, en mode agile : lors d’un sprint de 10 semaines avec des temps de tests et de résidence au sein de l’équipe porteuse du projet chez ALFI.
“ On a eu un premier prototype, et cela grâce à un temps de conception collaboratif ; ce qui a généré beaucoup de fierté au sein des équipes. Il y avait quelque chose à montrer, une proposition de valeur consolidée au bout de seulement 3 mois de projet. Cela a également été un argument pour convaincre la Direction des Ressources Humaines de lancer le développement d’un prototype fonctionnel avec comme objectif de le tester pendant 2 ans.”
Le test a rapidement fait ses preuves et de manière anticipée un transfert du prototype vers les serveurs définitifs a été opéré. Le processus a été accéléré.
Pour conclure, Cécile et Frédéric s’accordent pour dire que : sans jamais perdre de vue les enjeux d’un projet, le making est une façon de se reconnecter à son corps. Et est une réponse possible au besoin d’intégrer davantage de plaisir, d’épanouissement et de sens à nos pratiques, et dans nos métiers.
“ Ce qui nous plait à la fin d’une semaine c’est de nous dire que nous avons mobilisé autant nos têtes que nos mains. Et c’est ce que nous aimons aussi faire vivre aux personnes avec qui nous travaillons. ”
Cette œuvre de Codesign-it! et Fanny de Font-Réaulx est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.