Le premier Lab d’innovation collaborative en France prenait forme sur la demande d’Antoine Scotto d’Apollonia, pour Airbus, fin 2008. Depuis, ces dispositifs consacré à la réflexion et à l’action collaborative a conquis les entreprises et entre temps, le Lab d’Airbus s’est multiplié en trois dispositifs servant chacun une fonction différente.
Les entreprises comme Airbus font appel à ce type de dispositif pour des raisons différentes, ce qui pourrait limiter l’intérêt d’une collaboration entre Labs. Mais le besoin de réinventer sans cesse le concept (proposition de valeur et fonctionnement) et de le renouveler selon les demandes, les contextes et les utilisateurs, représente en revanche une opportunité de rapprochement. Une première session avait donc été organisée par Nadège Lossouarn en 2017 entre Dominique Movellan de la Maif et Anne-Sophie Bianne d’Airbus, confirmant les bénéfices d’un partage des expériences.
Nadège Lossouarn, déjà impliquée dans le dispositif d’Airbus, a été amenée à intervenir dans des Labs de plus en plus diversifiés, à la fois dans leurs pratiques et leurs besoins. Et bien d’autres membres du collectif Codesign-it ont eu la chance, ces dernières années, de contribuer à la conception, à la mise en place ou au développement de tels Labs, par exemple chez Eurocopter, FDJ, Technip, ADP, Orange, BNPP, AXA, Total, Cartier, Air Liquide, RCI, Natixis, Pôle Emploi, L’Oréal, ainsi qu’au Ministère des Finances, à la Poste, à l’UEFA, au Commissariat Général à l’Égalité des Territoires, au Ministère de l’Éducation Nationale…
L’idée d’un Lab des Labs est devenue une évidence. Une journée entière consacrée à la rencontre entre les opérateurs et futurs opérateurs des Labs d’innovation collaborative accompagnés par Codesign-it!, a donc eu lieu en décembre 2017 à Paris. Cela a permis un grand partage des modes de fonctionnement, des raisons d’être et des idées nouvelles soutenus par les quelque 90 représentants d’une vingtaine d’organisations. Catherine Foliot, Julie Credou, Viviana Gozzi, Trinité Laroche, Matteo Gozzi, François Penin, Guenola Rasa ont contribué avec Nadège Lossouarn à l’organisation de cette journée sans ambition commerciale, dont l’enjeu était de faciliter des rencontres et temps d’échanges et de réflexion inspirants. Au cours des discussions, sept angles de questionnement ont été développés :
- Le passage à l’échelle
Le passage à l’échelle représente ici l’application par essaimage des méthodes pratiquées au sein du Lab, au niveau de l’organisation entière. De nombreux moyens (méthodes, lieux…), déployés de manière concrète peuvent empêcher que les difficultés du quotidien ne freinent ou même bloquent la mise en œuvre d’une idée. Il s’agit de changer la culture d’entreprise en proposant de nouveaux modes d’interactions, de travail, de management, et de conduite de projet, issus des expérimentations menées sein du Lab. Échanger avec une startup permet par exemple de modifier le management dans toutes les couches de l’entreprise, et de faciliter par exemple la mise en place opérationnelle de nouveaux modèles.
- Dé-siloter les Labs
La volonté de mettre les Labs en réseau passe par la construction d’une communauté de partage entre les différents vécus, qui soit durable et permette de tenir des sessions d’échange sur des objets spécifiques. Et pourquoi ne pas garder le contact à travers un tour de France thématisé du Lab des Labs ? Le rapprochement des Labs s’alimente aussi d’une réflexion autour de possibles contributions croisées : comment mutualiser les moyens, proposer des sujets de co-développement, ou diffuser le travail mené par un Lab dans un autre ? Enfin, il est apparu nécessaire de les connecter au monde éducatif, notamment aux étudiants : parmi les nombreuses recrues issues des écoles d’ingénieurs ou de commerce, peu d’entre elles sont familières au mode de fonctionnement collaboratif.
- Se réinventer
Comment avancer en assurant notre réinvention permanente ?
Il faut déjà se définir comme une expérimentation. Il en découle plusieurs choses : plutôt qu’une réponse unique à chaque problème posé, l’articulation entre la recherche, le développement, la valorisation, l’engagement, doit être constante. Les conditions de cette réinvention passent alors par la documentation, visant à nourrir des intérêts communs, et par un écosystème ouvert notamment au milieu universitaire, associatif, micro-entrepreneurial…
Cette dynamique de réinvention dans le contexte d’une activité dense, cartographie une gamme de services beaucoup plus large.
- Mesurer, démontrer, communiquer
Ne serait-ce que pour garantir le maintien du budget permettant de faire vivre un Lab pour l’année suivante, il est indispensable de démontrer la valeur des modes de travail et l’apport de la formation promus par les Labs d’innovation collaborative. Comment mesurer un succès, quand chacun n’a pas les mêmes vocations ? Par exemple, sur quel critères les parties prenantes vont-elles vouloir mesurer ce succès ? Sans communication hors session, seul le chiffre, le rendu, va compter… Valoriser l’activité des Labs devient alors indissociable d’une démarche de storytelling, qui peut inclure des indicateurs de moyen (préciser, par exemple, que 4 sessions de 48h ont eu lieu), et d’impact (quels ont été les résultats).
- Gouvernance
L’ouverture et l’entretien d’un Lab représentent une véritable opportunité pédagogique. On parle du cycle de vie de la gouvernance, qui correspond à celui de l’entreprise. Ce n’est pas tant le nombre de projets ni les indicateurs qui en découlent qui vont traduire l’évolution et la maturité de ce cycle de gouvernance, mais l’intention. Reconstruire l’offre proposée par les Labs revient à réorganiser l’intention, pas forcément de façon formalisée, mais en étant par exemple transparent sur la manière dont les projets sont sélectionnés. Au-delà de cette exigence de lisibilité, l’écosystème lui-même doit également rester en lien avec l’intention, tout en demeurant ouvert : quelle valeur créer pour que les individus soient en autonomie ? C’est là qu’intervient la gouvernance : la solidité du dispositif n’est pas seulement assurée par ceux qui font faire, mais aussi par ceux qui font, en participant au Lab.
- Ressources, compétences et stratégies associées
Les ressources représentent des quantités ; les compétences, des qualités. Le Lab fonctionne finalement comme une cuisine : il s’agit d’y organiser une liberté efficace en termes de ressources et d’expertise. Comme dans une cuisine, ces deux éléments ensembles sont limités : on ne peut ni étendre infiniment le temps qui y est consacré, ni prendre un carnet de commandes à soumettre au sponsor. La question de la disponibilité des ressources se recoupe alors avec celle de la gouvernance : il s’agit d’établir des critères de choix, pour déterminer quelles commandes sont éligibles.
- La diffusion des pratiques et des méthodes
La diffusion des pratiques fait partie de l’ADN du Lab. Ce sont d’abord le lieu et l’intention de départ qui créent l’étincelle avant que des projets phares, une communauté de pratiques et un pôle de compétences se mette en place. Une fois cette base construite, comment l’élargir ? La diffusion des pratiques passe par des représentants, des catalyseurs qui, dans leurs missions, sont des agents du changement, choisis pour leur compétence de collaboration. Tout au long de la vie du dispositif, il est important de préserver, au sein du Lab, la responsabilité de former les parties prenantes. Lorsque le périmètre de l’organisation ou des problématiques devient trop grand, l’essaimage devient alors une nécessité. Rendu possible par une charte de pratiques, tel une boîte à outils qui constitue un socle commun pour tous les Labs, il doit toutefois pouvoir s’adapter à un écosystème, qui n’est pas forcément le même selon la culture de l’entreprise ou le sponsorship.
Publication proposée par Nina Valin.
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