Par une – très – chaude après-midi de septembre, les participants du DU sont invités à un voyage dans l’espace. Un questionnement ironique – alors que les températures montent inexorablement et que le groupe lutte contre l’évaporation progressive de son énergie – autour de l’environnement physique comme levier de facilitation.
Les fenêtres resteront closes – parce que “dehors c’est encore pire” – mais on s’efforcera de penser des “lieux hors les murs”, de suivre les pas de Valentin depuis les cabanes au Canada jusqu’à Bornéo, de s’ouvrir aux influences de l’espace sur la dynamique collaborative et de penser avec lui un environnement en Lego avec bureaux mobiles, panneaux polarisés, opaques et translucides, surfaces effaçables, magnétiques ou vitrées, cloisons sur roulettes, télescopiques ou repliables en accordéon…
Dans sa quête d’un espace démocratique, ouvert, sans cloison et sans mur, Valentin a conçu un cube. “Un octogone eut été plus joli mais moins modulable”. Un cube donc : (cube-)chaise, (cube-)table, (cube-)mur-séparateur, (cube-)surface-inscriptible… Ou plutôt des cubes, transparents, empilables et démontables, qui augmentent significativement la modularité de l’espace qui les accueille. On a bien envie d’aller jouer aux cubes pour de bon chez Valentin à Kuala Lumpur mais pour l’heure on évoque d’autres éléments de mobilier, chinés ou récupérés, et d’autres agencements spatiaux susceptibles de contribuer au processus de codesign.
Du Starbucks café avec ses éternels fauteuils club et ses machines à macchiato à l’atelier de Michel-Ange que l’on imagine plutôt austère, rugueux et poussiéreux. D’un espace presque nu, “design” extrêmement propre, au PMU de quartier enfumé où l’on se sent bien avec les copains. De l’épaisse moquette rose ou verte acidulée que l’on retrouve dans bon nombre de labs peut être trop confortables au comptoir industriel un peu crado sur lequel on n’a pas peur de renverser sa tasse de café… On voyage et on s’interroge sur les caractéristiques des espaces qui favorisent créativité, inspiration et interactions. On questionne les conditions de la mise en mouvement de ces coquilles, l’énergie qui peut y être générée, les hommes et les femmes que l’on choisit d’y accueillir et les rencontres qui s’y produisent.
Qu’est ce qui fait qu’un espace est collaboratif ? De quoi un projet innovant a-t-il besoin et à quelle phase de son développement ? Faut-il créer des lieux ad hoc, dédiés à l’innovation ? Quelle place pour le digital dans l’environnement collaboratif ? Comment une société de la connaissance peut-elle s’inspirer de la nature ? Qui, comment et par quel processus crée-t-on un environnement stimulant et approprié ? Qui est propriétaire de l’espace collaboratif d’innovation ?
On a bien failli se perdre dans la problématisation mais on s’est retrouvés au “carrefour des possibles” pour lister, le temps d’une mise en commun, les fonctionnalités souhaitables pour un espace favorisant le processus d’innovation. Nous voilà avec un début de cartographie des usages : un lieu de vie, un espace pour réunir, produire et discuter en groupe, un labo où l’on peut travailler la matière, un espace de repos et de repli, un atelier pour prototyper, un “commun” libre d’accès en tout temps dont chacun prend soin sans se l’approprier, une intersection où d’autres viennent et peuvent rebondir, un espace mémoire gardant la trace des expérimentations passées…
Ok mais concrètement ? Comment capturer ce qu’on a appris à l’occasion d’un projet ? Comment l’histoire peut-elle être racontée après le départ des protagonistes ? Comment sédimenter en un lieu physique les couches des itérations successives ? A ce moment-là, il commençait à faire – vraiment – trop chaud : complètement spaced-out et un peu perdue dans cet espace-temps, je me demande pourquoi je me suis engagée à produire une publication rendant compte de cette demi-journée de voyage…
Et c’est là que Sébastien nous invite à convoquer les archétypes architecturaux qui sont au cœur de notre culture, les formes que chacun reconnait parce qu’elles s’inscrivent dans le temps long de l’Humanité. Quand on s’interroge sur la vie future du lieu que l’on conçoit, gardons en tête que l’espace est une construction sociale dont la réalité est créée par notre imaginaire collectif. On a moins de chance de se tromper quant aux usages de demain en amenant le groupe qui va habiter un espace à choisir lui-même les archétypes auxquels se connecter pour le concevoir. Créer “pour l’usager”, c’est réinterpréter et recomposer avec lui les patterns les plus adaptés plutôt qu’inventer de nouvelles formes.
Dès lors, les questions suivantes se posent : qui est le groupe majoritaire qui prend les décisions dans la production de l’espace, qu’il soit collaboratif ou non ? Quels sont les schémas de pensée mobilisés pour concevoir les futurs locaux ? Comment sont structurés les processus d’arbitrage et les marges de manœuvre autour d’un projet d’aménagement ?
Il ne fait pas moins chaud mais on y voit plus clair en mettant en lumière les enjeux de pouvoir et la responsabilité du codesigner. Il nous appartient en effet de préserver une distance critique envers la manière dont un sponsor amène ou formule une problématique. Et le voyage démarre tout juste… qui nous donnera l’occasion de développer l’exigence nécessaire au décryptage, dans le langage du sponsor, de la pensée managériale dominante…
Merci à Valentin Boré et Sébastien Rocq pour leur intervention !
Restitution proposée par Gaële Lavoué, participante du Diplôme Universitaire Codesign.
Cette œuvre de Codesign-it! est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.